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L’abus de biens sociaux consiste, pour le dirigeant d’une société, à faire, « de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'il sait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement ».
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Caroline Martin-Forissier
Avocate au barreau de Paris
Associée
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L’infraction d’abus de biens sociaux est définie et réprimée par le Code de commerce à différents articles, applicables en fonction de la forme de la société :
Art. L. 241-3, 4°, C. com., pour les SARL (Sociétés à responsabilité limitée) ;
Art. L. 242-6, 3°, C. com., pour les SA (Sociétés anonymes) ;
Art. L. 242-6, 3°, C. com., sur renvoi de l’article L. 243-1, C. com., pour les SCA (Sociétés en commandite par actions) ;
Art. L. 242-6, 3°, C. com., sur renvoi de l’article L. 244-1, C. com., pour les SAS (Sociétés par actions simplifiées).
L’abus de biens sociaux ne peut être caractérisé que dans certaines circonstances (I). Classiquement, pour entrer en voie de condamnation, il est nécessaire que soit caractérisés tant l’élément matériel (II) que l’élément moral (III) de cette infraction. Les peines encourues sont l’emprisonnement et l’amende, ainsi qu’une longue liste de peines complémentaires (IV), sous réserve que l’infraction ne soit pas prescrite (V).
Notons d’emblée que l’infraction d’abus de biens sociaux n’est applicable qu’aux sociétés commerciales, à l’exclusion donc des sociétés de personnes. Cela ne signifie pas pour autant que ce type de comportement n’est pas réprimé dans les sociétés de personnes ou en présence d’autres formes sociales, puisque la qualification d’abus de confiance pourra être envisagée, notamment dans le cas des sociétés de droit étranger (Crim. 3 juin 2004, n° 03-80.593 P).
En principe, c’est la qualification plus générale d’abus de confiance qui trouve à s’appliquer en présence d’une société étrangère. Il a toutefois été jugé que si les dispositions relatives à l'abus de biens sociaux n’étaient pas applicables aux sociétés dont le siège social n'était pas situé en France, elles s'appliquaient néanmoins lorsque le siège social réel de la société était situé en France ou lorsque la société réalise l'essentiel de son activité en France et dispose d'un local d'exploitation sur le territoire national (Crim. 2 mars 2021, n° 19-80.991 P).
C. L’abus de biens sociaux par le dirigeant de fait
Si l’infraction d’abus de biens sociaux ne peut être retenue qu’à l’encontre de dirigeants, elle peut être retenue contre des dirigeants de fait (Crim. 28 juin 1993, n° 92-85.607). Par exemple, est un dirigeant de fait l'individu qui, n'étant pas gérant d'une SARL, dirige seul à son gré cette société, traite personnellement avec les fournisseurs et les clients, oriente son activité et décide de son sort (Crim. 25 nov. 1969).
L’élément matériel de l’abus de biens sociaux suppose de caractériser un usage des biens ou du crédit de la société (A) contraire à l’intérêt social (B).
On entend par « biens sociaux ou crédit de la société » tout bien appartenant à la société, constituant son patrimoine.
Quant à l’usage, il peut s’entendre tant d’un acte positif que d’une abstention volontaire. Ainsi, il a été jugé que la simple utilisation abusive des biens de la société dans un intérêt personnel par le dirigeant suffisait à caractériser le délit d’abus de biens sociaux, y compris en dehors de toute volonté d’appropriation définitive (Crim. 8 mars 1967).
L’usage peut également être caractérisé par la mise à disposition des biens sociaux, notamment dans l’hypothèse de rémunérations excessives. Ainsi, commettent le délit d’abus de biens sociaux les gérants d’une SARL qui mettent à profit leur situation très fortement majoritaire dans la répartition du capital social pour voter en assemblée une délibération leur attribuant des appointements excessifs eu égard aux ressources et à la situation financière de la société et qui perçoivent ensuite ces appointements (Crim. 15 oct. 1998, n° 97-80.757),
L’usage enfin, peut notamment résulter d’une abstention volontaire, comme l’illustre le cas de deux gérants de SCI s’étant abstenus volontairement d'apurer les comptes de la SCI qui avait perçu indûment des loyers d’une société commerciale qu’ils dirigeaient également. La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé qu’ils avaient procédé à des rétentions injustifiées par la SCI de sommes irrégulièrement perçues, ces rétentions caractérisant l'abus de biens sociaux qui leur était reproché (Crim. 28 janv. 2004, n° 02-88.094).
Il s’en déduit également qu’un dirigeant pourrait se rendre coupable d’abus de biens sociaux s’il s’abstenait délibérément de réclamer le paiement d’une créance sociale.
Pour être considéré comme abusif au titre de l’infraction d’abus de biens sociaux, l’usage des biens appartenant à la société commerciale doit être contraire à son intérêt social (1). Cette contrariété à l’intérêt social s’apprécie différemment dans les relations au sein d'un groupe de sociétés (2).
1. Les actes contraires à l’intérêt social
Les actes dépourvus de contrepartie
Peuvent porter atteinte à l’intérêt social les actes économiquement inutiles, tout d’abord, car dépourvus de contrepartie. C’est notamment le cas du gérant cédant, sans réelle contrepartie, un contrat de crédit-bail au profit d'une société dans laquelle il était associé (Com. 13 déc. 2005, n° 03-18.002), ou du dirigeant qui expose, sans contrepartie, l’actif de la société à un risque de perte (Crim. 8 déc. 1971, n° 70-93.020 P).
Les actes faits dans un but illicite
Par ailleurs, les actes faits dans un but illicite portent nécessairement atteinte à l'intérêt social. Il est ainsi de jurisprudence constante que l'usage des biens d'une société est nécessairement abusif lorsqu'il est fait dans un but illicite (Crim. 22 avr. 1992, n° 90-85.125 P).
Les actes exposant la société à un risque anormal de poursuites pénales ou fiscales
Commet un usage abusif des biens de la société le dirigeant dont les agissements ont exposé la société, dans son intérêt personnel, à un risque anormal de poursuites pénales ou fiscales.
Ainsi, quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux aux fins de commettre un délit tel que la corruption par exemple est contraire à l'intérêt social, en ce qu'elle expose la personne morale à un risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants, et porte atteinte à son crédit et à sa réputation. Ce principe ressort nettement de la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’affaire Carignon, ou affaire dite “du marché de l'eau de Grenoble” cédé en 1989 par le maire de la ville, Alain Carignon, à la Lyonnaise des eaux et à la Sdei (Société de distribution des eaux intercommunales) présidée par Marc-Michel Merlin en échange de millions de francs d'avantages dont la mise à disposition d’un appartement à Paris (Crim. 27 oct. 1997, n° 96-83.698).
Illustration plus récente de ce principe, un dirigeant a été reconnu coupable d’abus de biens sociaux pour avoir fait facturer au Conseil général des Hauts-de-Seine, par deux sociétés dont il était le gérant, des prestations informatiques en réalité effectuées par une autre société gérée par l’un de ses amis, avoir encaissé les paiements correspondant et reversé les sommes à cette autre société en conservant pour lui une commission. Les juges ont considéré que de tels agissements, commis à des fins personnelles et ayant eu pour effet d'augmenter artificiellement et frauduleusement les chiffres d'affaires des sociétés impliquées, avaient été commis au préjudice de celles-ci, dès lors qu’ils les ont exposées, dans l’intérêt personnel du dirigeant, à un risque anormal de poursuites pénales ou fiscales (Crim. 17 déc. 2015, n° 14-86.602).
2. L’abus de biens sociaux en présence d’un groupe de sociétés
Un dirigeant peut-il employer les fonds d’une société pour financer une autre société qu’il dirige et qui appartient au même groupe de sociétés ?
La chambre criminelle de la Cour de cassation a eu à s’interroger sur la question et a finalement jugé que le concours financier apporté par le dirigeant d’une société à une autre société dans laquelle il est intéressé échappait à la qualification d’abus de biens sociaux si quatre conditions cumulatives étaient respectées (Crim. 4 sept. 1996, n° 95-83.718 P) :
Les sociétés appartiennent à un même groupe ;
Le concours est dicté par les intérêts communs du groupe et non pas d’une seule de ses sociétés ;
Le concours n’est pas démuni de contrepartie ou ne rompt pas l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés ; et
Le concours n’excède pas les possibilités financières de la société qui en supporte la charge.
Ainsi, dans un arrêt relativement récent de la chambre criminelle notamment connu pour avoir opéré un revirement de jurisprudence en posant une nouvelle obligation pour le juge pénal de motiver les peines complémentaires (Crim. 1er févr. 2017, n° 15-85.199 FP-PBRI), la Haute juridiction a admis que se rendait coupable d’abus de biens sociaux le dirigeant d’une société qui avait transféré la quasi-intégralité du bénéfice comptable d’une société au profit d’une autre société du groupe, sans contrepartie pour la société et bien au delà de ses possibilités financières.
La caractérisation de l’élément intentionnel du délit d’abus de biens sociaux suppose classiquement :
la connaissance du droit, laquelle est présumée ;
la volonté de l’acte abusif ;
la conscience que l’acte est contraire à l’intérêt social.
Elle suppose que l’acte ait été accompli dans l’intérêt personnel du dirigeant, au profit de ce dernier (dol spécial). Cet intérêt peut être personnel ou moral comme lorsque les fonds de la société sont employés par le dirigeant pour aider un ami (Crim. 8 déc. 1971, n° 70-93.020 P).
Par ailleurs, il convient de noter qu’il existe une présomption de prélèvement dans l'intérêt du dirigeant lorsque les fonds sociaux sont prélevés de manière occulte par ce dirigeant. Se rend notamment coupable d’abus de biens sociaux le gérant de fait d’une société ayant constitué une caisse noire alimentée par une partie des recettes, ainsi soustraites de sa comptabilité, ayant servi notamment à payer les employés non déclarés et ne justifiant pas de l’emploi de l’autre partie des sommes détournées. Il a été considéré comme ayant prélevé et utilisé le surplus des sommes détournées à des fins personnelles (Crim. 11 janv. 1996, n° 95-81.776 P).
L’abus de biens sociaux est puni d'un emprisonnement de 5 ans et d'une amende de 375 000 €.
Les peines encourues sont portées à 7 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen de :
Comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;
L’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établie à l’étranger.
Les personnes physiques coupables d’abus de biens sociaux encourent également à titre de peines complémentaires l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour leur propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale.
Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement. (C. com., art. L. 249-1).
Ces interdictions peuvent être soit définitives, soit temporaires. Lorsqu’elles sont temporaires, elles ne peuvent excéder 15 ans (C. pén., art. 131-27)
En principe, le délai de prescription en matière d’abus de biens sociaux est de six années (C. proc. pén., art. 8) et commence à courir à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société (Crim. 5 mai 1997, n° 96-81.482 P).
En cas de dissimulation, la prescription ne commence à courir qu’à compter du jour où l’infraction est apparue ou a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. A titre d’exemple, la dissimulation peut être caractérisée par la mention sur des notes de restaurant, du nom de personnes n'ayant pas pris part au repas (Crim. 10 avr. 2002, n° 01-80.090). Plus généralement, il y a dissimulation dès lors que les comptes ne sont pas suffisamment explicites pour révéler l’abus de biens sociaux.
Caroline Martin-Forissier
Avocate au barreau de Paris
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